Quatre questions à

Maurizio Bufalini, directeur général de TELT

Gea, le tunnelier qui a creusé le tunnel géognostique Turin-Lyon en Italie / Gea, the tunnel boring machine that dug the Turin-Lyon geognostic tunnel in Italy

IREFI: Monsieur le Directeur, vous avez pris la direction générale de TELT fin juillet après avoir été directeur de la division technique de TELT. Quels sont les objectifs de la nouvelle direction générale et quelles sont, selon vous, les contributions que votre longue expérience peut apporter au développement du travail ?

Maurizio Bufalini: Mon mandat intervient à un moment de transition pour l'entreprise et la construction de la ligne Turin-Lyon : d'une part, avec l'attribution de tous les contrats de construction pour les travaux des deux côtés des Alpes, nous entrons dans la phase d' exécution, qui amènera 4000 personnes sur les chantiers entre l'Italie et la France et le même nombre de travailleurs indirects ; d'autre part, nous commençons à mettre en place la gestion ferroviaire de la ligne, en favorisant un "changement de peau" de TELT, qui devra passer du statut de constructeur à celui de gestionnaire. Mon travail se déroulera donc pendant une période de chantiers pleins et il sera nécessaire de gérer leur progression avec les meilleurs bénéfices pour les territoires et les communautés. L'enjeu est maintenant d'assurer la durabilité des chantiers et des travaux, d'un point de vue social, environnemental et économique. En ce qui concerne la perspective des opérations ferroviaires, de nouvelles compétences et de nouvelles approches seront nécessaires ; pour cette raison également, mon rôle sera celui d'un facilitateur de la transition, en examinant les expériences d'autres réalités qui sont devenues les meilleures pratiques internationales et sur lesquelles nous pouvons greffer notre approche innovante et notre dimension binationale.

Dans l'exercice de mon mandat dans ce contexte, je bénéficierai de mon expérience dans la mise en œuvre d'autres grands travaux, dont la ligne ferroviaire à grande vitesse en Italie, avec tout ce que la construction d'infrastructures implique : le dialogue avec les territoires, la gestion de l'impact des chantiers, la maîtrise des imprévus, mais surtout la gouvernance de l'avancement des travaux sous le signe de la durabilité. Par ailleurs, ayant travaillé sur le projet Turin-Lyon depuis 2008, je peux également compter sur la mémoire historique concernant la logique des choix effectués lors de la phase d'étude, avec l'engagement de veiller au respect de la mission née des traités internationaux, dans l'esprit qui les a inspirés. Une continuité qui est aussi synonyme d'efficacité.

IREFI: Pouvez-vous nous faire un point sur la situation des travaux Turin-Lyon et nous dire quel est l'impact actuel des travaux sur les territoires concernés ?

Maurizio Bufalini: Les travaux avancent avec plus de 2 500 personnes et plus de 200 entreprises travaillant sur dix chantiers entre la France et l'Italie ; environ 34 km de tunnels ont été creusés sur les 162 km à construire, dont 12 km du tunnel où circuleront les trains. 2024 sera l'année de l'arrivée sur les chantiers français des premiers tunneliers avec lesquels l'excavation se poursuivra à plein régime. La retombée la plus évidente est que le Turin-Lyon est désormais le premier employeur de Maurienne, ce qui déclenche d'autres mécanismes positifs avec l'arrivée de travailleurs qui vivent sur place avec leur famille et qui ont de nouveaux besoins, de l'hôtellerie à tous les services qui en découlent. En Italie aussi, l'accueil de plus de 1 000 travailleurs dans le Val de Suse sera bientôt mis en place.

Le dialogue avec les maires permet, tant en Italie qu'en France, de transformer la présence des chantiers en opportunités de croissance, bien au-delà des travaux d'accompagnement prévus en Italie et du soutien de Demarche Grand Chantier en France. En ce qui concerne les appels d'offres, tous les travaux de génie civil sont sous-traités, y compris la gestion des matériaux d'excavation du côté français ; du côté italien, ils seront sous-traités dans les mois à venir.

IREFI: TELT est un symbole de la collaboration binationale entre l'Italie et la France. Quels sont, selon vous, les nouveaux défis auxquels les deux pays sont confrontés et qui doivent être relevés ensemble ?

Maurizio Bufalini: Le dossier Turin-Lyon est fortement soutenu par les gouvernements italien et français. Les prochains défis communs découlent, en partie, de la voie tracée par le Traité du Quirinalavec la volonté de faire avancer les travaux dans toutes leurs dimensions, le dialogue constructif avec les territoires transfrontaliers et la protection des Alpes. Les autres défis à relever ensemble se situent dans le contexte européen : la France et l'Italie devront gérer les négociations avec l'UE pour la nouvelle tranche de financement des travaux, dans un contexte difficile, avec deux conflits aux portes de l'Europe qui ont déjà généré de nouveaux besoins communautaires (par exemple le projet renouvelé d'extension des réseaux de transport vers l'Est), une crise des approvisionnements en matières premières et ensuite des incertitudes sur le plan géopolitique. Il y aura aussi des questions à adapter au nouveau contexte : les accords actuels entre l'Italie et la France sur la gestion de la ligne historique, datant de 1951, doivent être mis à jour, pour introduire l'existence du nouveau tunnel, en vue de sa mise en service dans une dizaine d'années ; il y aura aussi des négociations binationales à ce sujet.

IREFI: Comment, selon vous, le Turin-Lyon, infrastructure reliant l'Italie et la France, se présentera-t-il à l'Europe ?

Maurizio Bufalini: L'Europe est l'une des raisons d'être du projet. La vocation de Turin-Lyon est de redonner vie aux connexions européennes, principalement est-ouest sur le corridor méditerranéen entre la Hongrie et l'Espagne. C'est le "chaînon manquant" dans l'efficacité du nouveau réseau transeuropéen de transport, qui est une sorte de métro européen. La nouvelle liaison que nous construisons, également sous la bannière du Green Deal, apportera des gares internationales à Saint Jean de Maurienne et à Suse, qui deviendront des destinations européennes, seront plus facilement accessibles aux touristes et constitueront une étape au même titre que les grandes villes de l'itinéraire. Une portée qui, au sein du nouveau réseau européen de transport en construction, multiplie les points d'arrivée/destination si l'on considère que le Corridor méditerranéen traverse 7 des 9 axes du réseau RTE-T, reliant efficacement, durablement et rapidement l'ensemble du continent. Ce projet, qui développe la vision des "pères de l'Union européenne" de communautés plus intégrées, avait besoin d'une traversée alpine à l'ouest pour être complet et pour sortir certaines zones alpines de leur isolement. C'est ce que nous construisons : non seulement une infrastructure ferroviaire, mais aussi un morceau d'Europe.

Entretien avec Maurizio Bufalini, directeur de TELT


Ing. Maurizio Bufalini, from July 2023 new General Manager of TELT Maurizio Bufalini, nouveau directeur général de TELT à partir de juillet 2023


Vue par drone du plus grand chantier italien des travaux, à Chiomonte Vue par drone du plus grand chantier italien des travaux, à Chiomonte